Dans ma traditionnelle enquête d’Halloween, je vais vous parler de l’origine et de l’étymologie du thérémine, un instrument rétrofuturiste qui va nous emmener de la série Disney+ « Loki », aux plus célèbres des films de science-fiction en passant par les goulags. Un programme hétéroclite et absurde comme on les aime dans le bureau des enquêtes étymologique du Détective des Mots !
Qu’est-ce que le thérémine ? Il est fort probable que vous n’en ayez jamais vu de votre vie, encore moins en concert (quoique j’aie l’impression de le voir partout ces derniers temps, et vous avez, vous aussi, peut-être remarqué ce phénomène). Mais vous l’avez assurément déjà entendu, sans savoir que c’était Lui.
Inventé en 1919 en URSS avec l’ambition pas du tout présomptueuse d’éradiquer le violon, l’un des tout premiers instruments électroniques et sa sonorité surannée est le symbole de la musique rétrofuturiste et des films paranormaux.
Découvrir la saga des enquêtes d’Halloween :
Halloween Specials
Saison 6 (2022)
Thérémine : Histoire et étymologie d’un instrument extra-terrestre
Saison 5 (2021)
L’Origine du mot zombie : du vaudou aux films gores
Saison 4 (2020)
Origine du mot grimoire ou comment la grammaire, c’est de la sorcellerie !
Saison 3 (2019)
L’origine incongrue du mot chauve-souris
Bonus : Les origines amusantes de 5 mots pour fêter Halloween
Saison 2 (2018)
Opus 1 : Origine du mot citrouille
Opus 2 : Origine du mot vampire, et l’histoire dramatique du premier vampire moderne
Opus 3 : Étymologie du mot araignée et mythe d’Arachné
Saison 1 (2017)
Opus 1 : « Jack-o-lantern » ou creusons l’étymologie de la citrouille d’Halloween
Opus 2 : Les étymologies des mots nightmare et cauchemar viennent d’un mauvais rêve commun
Étymologie du mot thérémine
Le thérémine, nom masculin, désigne un étrange instrument électronique qui a reçu pléthore de surnoms par son inventeur, dont le sublime « ætherphone » (son de l’éther), et tant d’autres autour du même thème, à l’instar de « musique de l’air », « musique de l’ailleurs » et « musique des sphères ». Ce mystérieux bloc noir produit du son en passant les mains devant une antenne. Une main contrôle la hauteur du son, et l’autre, le volume. Son inventeur était russe et s’appelait Lev Sergueïevitch Termen. En arrivant aux USA, il américanisa son nom en Léon… Thérémine, eh oui. Cela fait de notre victime étymologique du jour un sublime exemple d’antonomase ; les figures de style sont vraiment partout…
antonomase, n.f. désigne un nom propre (ex. : Eugène Poubelle) devenu nom commun (une poubelle). En savoir plus dans Le Glossaire des termes techniques de l’étymologie du Détective.

Avant de poursuivre, je vous ai déniché une petite démonstration du thérémine et de son fonctionnement unique par Pilule, le magazine du sonore :
Un autre instrument bizarre : A la découverte de la guimbarde : étymologie et sélection musicale
Petite histoire en musique du thérémine
Dans l’article de Pilule Magazine dédié au thérémine (clic clic !), on découvre que le thérémine a été pour la première fois intégré au cinéma soviétique via la bande originale du film muet Aelita (1924) de Yakov Protazanov, qui est ni plus ni moins que le premier film de science-fiction russe. Adapté de l’œuvre de Tolstoï, son chef d’orchestre a eu la surprise de devoir diriger non pas un mais bien trois thérémines.
Mais pour mieux comprendre l’histoire fascinante du thérémine, il faut se plonger dans la biographie tourmentée d’un scientifique soviétique au temps des goulags.
Mini-biographie glaçante de Léon Thérémine
Léon Thérémine, né en 1896 et mort quasiment cent ans plus tard en l’An de grâce 1993, était un ingénieur russe qui travailla dans les années 20 dans le plus grand centre de recherche de l’Union soviétique et où il inventa le thérémine. Il travaillait alors sur les champs magnétiques et en passant par hasard sa main devant un champ, il entendit un son surprenant. Il s’évertua alors à canaliser et contrôler cette source sonore pour couvrir toutes les notes de la gamme, mêmes les demis et les quarts de tons.
Suite à cette invention, Staline l’envoya en Europe, puis aux USA présenter cet instrument du futur qui allait réussir, d’après le dictateur moustachu, à remplacer l’élitiste violon ! (Son argument était que le thérémine était plus rapide et économique à produire que mettons un Stradivarius, mais apprendre à jouer du thérémine s’est révélé quasiment impossible, donc échec et mat).
Installé avec son épouse à New York à la fin des années 20, Thérémine en profita pour se lancer dans la carrière valorisante et pas du tout dangereuse d’agent double pour les USA et l’Union soviétique. En 1938, il est, d’après sa femme, emmené par deux hommes russes. Il resta introuvable, malgré les recherches menées par son épouse et ses amis new-yorkais. Le gouvernement soviétique annonça qu’il était décédé et entreprit la tâche absolument pas suspecte d’effacer son nom de tous les livres et articles russes où il figurait.
En fait, Léon se trouvait dans un goulag en Sibérie (surprise, surprise !). Le KGB l’obligeait à inventer des engins d’espionnage pour lui, le plus célèbre (rétrospectivement) s’appelant « la Chose » (so Halloween, c’est aussi le nom de la main rampante dans mon film d’Halloween préféré, La Famille Addams).

Réhabilité (et ressuscité, par la même occasion) par le gouvernement soviétique, Léon Thérémine reçoit même le prix Staline en 1947 pour un autre système d’écoute qu’il a inventé. Mais revenons-en plutôt à la bien nommée « Chose »…
La Chose
Ce dispositif d’écoute caché, ou « mouchard », est l’un des premiers du genre ! Comme par hasard, il a une histoire qui mêle tromperie et scouts russes. L’ambassadeur américain à Moscou voit arriver chez lui un groupe de Pionniers soviétiques en culottes courtes qui viennent lui offrir en geste d’amitié de la part du gouvernement soviétique un Grand Sceau des États-Unis décoratif. Le Grand Sceau représente l’habituel aigle tenant le drapeau américain (mais le verso du sceau original est carrément plus intéressant car il représente une pyramide inachevée surmontée par un « œil de la Providence », qui ressemble furieusement à celui des Illuminati, vraiment quelle drôle d’idée.).
L’ambassadeur a dûment accroché le Grand Sceau dans son bureau personnel permettant au micro passif installé à l’intérieur et par extension aux agents du KGB à l’autre bout du fil d’écouter les conversations privées de l’ambassadeur en toute tranquillité. Comme on l’aura compris, la carrière de Léon Thérémine est infusée par le contexte politique de l’époque, et cela va avoir une influence sur les usages de son instrument chéri.
Merci de lire Le Détective des Mots
Découvrir 200+ étymologies surprenantes
Le thérémine et le contexte de la chasse aux sorcières
Cet instrument à la sonorité hors du monde et inquiétante devient la musique de l’angoisse et de la psychose. Il est choisi par le compositeur Miklós Rózsa pour accompagner les épisodes psychotiques d’un des personnages dans le fameux film La Maison du docteur Edwardes (1945) d’Alfred Hitchcock.
Le thérémine fait vraiment son entrée en scène aux États-Unis au moment de la « chasse aux sorcières ». Ce nom énigmatique, aussi appelé Maccarthysme, désigne la recherche paranoïaque de 1950 à 1954 d’espions russes et les nombreux procès plus ou moins justifiés qui s’ensuivirent. Le sentiment anti-communiste était alors très fort, et on le retrouve en toute logique dans les films, romans et comics de l’époque. Au rayon comics, on a la bande des Super-Soldats soviétiques et Black Widow, espionne soviétique qui passe du côté américain. Là où ça devient fascinant, c’est que les films d’invasions extra-terrestre étaient en fait une métaphore de l’invasion par les espions soviétiques ! Thème de prédilection du cinéma de science-fiction dans les années 50, le thérémine soviétique se retrouve être l’instrument qui annonce l’arrivée des martiens dans les bandes originales…Un retournement de situation assez incroyable.
Dans les années 1990, les films de SF parodient leurs prédécesseurs des années 50, et on retrouve du thérémine dans la composition de Danny Elfman pour Mars Attacks! de Tim Burton (et à nouveau dans Frankenwinnie avec la même équipe).
Saurez-vous le reconnaître ? Un thérémine se cache dans le thème de Mars Attacks! :
En 2022, les références aux films de SF des années 80, qui eux-mêmes parodiaient les films de SF des années 50, font leur apparition. Une série de Marvel Studios sur Disney+ en particulier va nous intéresser. J’ai nommé Loki (2021).
Du thérémine dans une série des Marvel Studios ?
Ou pourquoi mettre du thérémine dans la bande originale de Loki est le plus grand coup de génie musical dans une production de Marvel Studios
Oui, nous arrivons au point culminant de cette enquête, et cela mérite bien un sous-titre pompeux et interminable. Si vous n’avez pas encore vu la série, lisez sans crainte car cet article ne contient pas de spoiler sur la série Loki (2021).
Déjà, que Natalie Holt, deuxième compositrice à composer pour la MCU après Pinar Toprak pour Captain Marvel (2019), ait dû composer pour thérémine dans sa bande originale est remarquable en 2022, mais la série Loki est absolument idéale pour ce genre de clins d’œil musicaux. En plus du fait que cette bande originale est excellente (elle est même qualifié d’après la compositrice de cocktail entre la musique de la série Doctor Who et Wagner).
En effet, au début de la série Loki, qui reprend au milieu d’Avengers : Endgame (2019) quand Loki disparaît de manière inattendue, la fuite du dieu cornu de la malice est de courte durée. Il se fait arrêter aussi sec par de mystérieux gendarmes et emmener sur une planète jusqu’ici inconnue à l’architecture urbaine et rétrofuturiste pour être jugé par le Tribunal des Variations Anachroniques (TVA). Au fil des épisodes, Loki va visiter de nombreuses planètes, et il est très intrigué par les fondateurs du TVA : trois créatures reptiliennes qui seraient sorties de nulle part et auraient créé le TVA de zéro, ainsi que tous ses employés. Les échos avec les films d’enlèvement par des extra-terrestre et l’inspiration rétrofuturiste des films de SF est facilement reconnaissable.
Je raconte un épisode de la mythologie nordique avec Loki : Le mot « Frau » ou la résurrection du Christ version opéra rock scandinave
Cela est confirmé par les interviews données par l’équipe qui a créé Loki. Kate Herron, réalisatrice de Loki, mentionne dans son interview pour CNET vouloir rendre hommage au film Brazil par le Monthy Python Terry Gilliam(1985), notamment pour les décors, mais aussi la bureaucratie absurde qui est si importante dans le film. L’idée d’intégrer du thérémine est celle de Herron.
La BO laisse entendre un thérémine « RCA » original de 1929 (rare survivant sur une production de 500 pièces) et un autre modèle, le Big Briar 91A, plus récent et créé par Bob Moog.
Kasra Farahani, chef décorateur de la série explique dans une interview pour Polygon qu’il s’est inspiré du brutalisme (un style architectural allant des années 1950 à 1970) londonien et soviétique (tiens, tiens) pour l’architecture du TVA, avec ses grandes colonnes et son dénuement aseptisé et impressionnant. Il l’a mélangé à un ameublement de style mid-century américain tout en rondeur et aux couleurs chaudes et pimpantes pour que la dissonance entre les deux styles déstabilise le spectateur. Ce mélange des styles est typique des années 50, années au cours desquels les films de SF employaient le thérémine.
Comme on l’a vu plus haut, le thérémine est associé aux films de SF des années 50, aux invasions extra-terrestres, à l’inquiétant. Bref, il est la cerise sur le gâteau du mélange d’influences à l’origine de l’atmosphère de la série Loki.
On entend particulièrement bien le thérémine dans la chanson « Miss Minute » où il a la mélodie pour une grande partie du morceau, jusqu’au final où sa sonorité tremblotante a le dernier mot :
Dans cette vidéo, on voit Charlie Draper, le théréministe de Loki jouer le thème principal de la série en caressant l’air devant son instrument :
Bonus de Halloween : un cadavre dans le salon, le mystérieux assassin des années 50
Halloween ne serait pas complet sans un récit de morts mystérieuses… Les décors de la série Loki est inspiré des années 50, notamment avec des postes de télévision ressemblant à la Philco Predicta (TV en noir et blanc de 1958 à 1960). Or, dans les années 50, de mystérieux incendies dans les salons des gens conduisaient à des mort incompréhensibles. Qu’est-ce qui pouvait bien prendre feu dans un salon à l’ère des lampes électriques ? Les postes de télévision ! Pourquoi ? Les TV de l’époque étaient souvent intégrées dans un buffet en bois décoratif qui, parce que l’aération du système audio n’était pas suffisante avaient tendance à… prendre feu.
Pour découvrir d’autres types de mort domestique étonnantes et trustement absurde, Absolute History a créé tout une série d’épisodes sur YouTube sur le sujet (en anglais) :
L’essentiel en quelques points
- le thérémine, créé en 1919, tient son nom de Léon Thérémine, son créateur. C’est donc une antonomase.
SOURCES
VIDÉOS | Theremin & la SF – PILULE (pilule-magazine.fr) | Lev Sergueïevitch Termen’s Magical Soviet Instrument, Mathilde Hirsch, INA, France, 2020 pour Arte, https://www.arte.tv/en/videos/097371-007-A/the-lost-ones/ | https://youtu.be/EauvwU2iWFI | https://youtu.be/AAbMWliuijI |
SITES | https://en.wikipedia.org/wiki/Predicta | https://en.wikipedia.org/wiki/The_Thing_%28listening_device%29 | https://pilule-magazine.whynote.com/ux-portfolio/termen-au-cinema/ | https://fr.wikipedia.org/wiki/Maccarthysme | https://www.polygon.com/22575681/loki-tva-void-visual-influences-art-design-secrets (contient des spoilers de l’épisode 4 de la série Loki) | https://www.cnet.com/culture/entertainment/loki-retro-futuristic-style-inspired-terry-gilliam-crappy-offices-on-disney-plus/ | https://www.govinfo.gov/features/great-seal | https://charliedraper.com/theremin | https://musictech.com/features/interviews/theremins-remote-orchestras-natalie-holt-marvel-loki-score/ |
Passionnant! et très complet, merci pour les exemples sonores!
on sent une découverte empirique d’un appareil devant générer une sorte de larsen, qui a drôlement interessé ma chienne, qui n’a cessé de me regarder en penchant la tête de droite et de gauche, je m’en vais de ce pas voir l’étymologie de la chauve-souris!
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Larsen ? J’apprends un mot ! 😀 Merci beaucoup pour ce retour et bonne lecture !
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