Le mot quarantaine est sur toutes les bouches, les mots confinements, isolement, etc. sont devenus notre quotidien. Mais quelle est l’étymologie de quarantaine ? Cet article vous propose de comprendre pourquoi quarantaine est composé de quarante, et de découvrir l’étymologie du mot anglais quarantine. Ils se ressemblent beaucoup, et pourtant leurs origines sont bien différentes !
Alors que l’atmosphère confinée de nos appartements se fait lourde et chargée d’inquiétude, je me suis résolue à conserver mon ton humoristique et mes anecdotes décalées car c’est ce que je fais de mieux. En espérant éclairer un peu votre journée, je vous souhaite une bonne lecture.
La mise en quarantaine individuelle est de 14 jours pour le coronavirus. Quatorze et quarante, ça commence pareil, mais ça fait pas le même nombre de séries Netflix si on est confinés chez soi. Alors, pourquoi a-t-on choisi le nombre quarante pour parler de la quarantaine ?
Ou plutôt : quel est le rapport entre l’épidémie de typhoïde qui toucha 3000 personnes à New York en 1906, une cuisinière mal lunée, le carême et la plus longue quarantaine imaginable ?
Enfilez vos scaphandres, on va aller voir ça de plus près ! (mais pas trop non plus, distances de sécurité obligent).
Définition actuelle de la quarantaine
Mettre quelqu’un en quarantaine consiste à l’enfermer à l’écart de la société, soit :
- parce qu’on le soupçonne d’avoir une maladie contagieuse.
- parce qu’il tousse du sang et a les aisselles colonisées par des bubons purulents, auquel cas on est à peu près sûr qu’il a une maladie contagieuse.
- parce qu’on n’aime pas sa tête et qu’on veut simplement le faire souffrir en le mettant au ban de la société. (Et ça, c’est vraiment pas très gentil).
Merci de lire Le Détective des Mots
Découvrir 200+ étymologies surprenantes
Origine du mot quarantaine
Sans surprise, le mot quarantaine est dérivé de « quarante » et de « aine ».
Ce sera tout, merci d’être venus, bisous.
…
Je rigole.
Non, le mot français quarantaine ne vient pas de l’Italien quaranta giorni « quarante jours » employé à l’origine à
Venise pour désigner une innovation majeur dans le contrôle des épidémies : la période obligatoire que les navires devaient respecter en mouillant à l’écart des ports avant d’accoster. L’objectif de ces quarante jours étaient de s’assurer qu’il n’y avait personne d’asymptomatique à bord, couvrant la durée d’incubation de bien des maladies contagieuses. En revanche, l’anglais quarantine vient en effet de l’Italien. L’étymologie française est donc bien plus banale que celle du mot anglais, malgré leurs similitudes !
Je vais quand même vous expliquer pourquoi la fin du mot quarantaine — en référence à la mesure vénitienne bien sûre, mais sans avoir emprunté son mot ! — est composée du suffixe -aine, ce qu’il désigne habituellement et ce qu’il ajoute comme signification. Nan parce qu’on dirait que les suffixes sont juste là pour faire joli alors qu’ils font un boulot essentiel !
Comment ça vous voulez plutôt l’anecdote décalée en premier ?
Bon. D’accord.
Pour les personnes qui ne sauraient attendre plus longtemps pour tout apprendre sur le suffixe -aine, dirigez-vous vers le bonus de cet article au dernier paragraphe.
Tout de suite : l’histoire d’une cuisinière au centre de mystérieuses épidémies de fièvre typhoïde à New York au début du XXe s. Mais d’abord, cérémonie de la Loupe d’Argent du Sens Oublié.
Bonne pioche ! Cet article est un épisode d’une série sur ce thème !
Mini-série sur les Grandes Épidémies de l’Histoire
Épisode 1 : Origine du mot quarantaine : Histoire de Mary Typhoid et la quarantaine la plus longue du monde
Bonus : Espèce de moule à gaufres ! Origine et signification de l’insulte favorite du Capitaine Haddock

L’autre sens tristement oublié du mot quarantaine
Je remets la Loupe d’Argent d’argent du Sens Oublié à celui qu’avait la quarantaine à partir de 1200, à savoir… le Carême (qui dure 40 jours, autant de jours que Jésus en a passé dans le désert à faire une cure assainissante à base de brochettes de scorpions et de cocktails à l’eau de mirage).
Pourquoi quarante ? La durée de la quarantaine pour la peste était de quarante jours. Logique ! Pour parler de la quarantaine de 14 jours pour le coronavirus, on peut dire « quatorzaine », même s’il est beaucoup moins usité.
La pire quarantaine de l’Histoire
Et donc, comme l’histoire de Typhoid Mary est tellement fascinante, voici une petite pièce de théâtre de mon cru (oui, le confinement se fait sentir) :
« Typhoid Mary »
ou les affreuses mésaventures d’une asymptomatique, pièce en un acte, par Le Détective des Mots
New York – 1906
L’Etat de New York est aux aguets. Le premier new-yorkais qui a un peu de température et la diarhée est passé à la casserole.
Au chevet d’un lit d’hôpital.
George Soper — Alors comme ça, on me dit que vous avez la fièvre typhoïde, monsieur ?
Monsieur — Ou…oui ?
George Soper — Ça ne nous arrange pas du tout, c’est la 6e épidémie en 6 ans, le maire commence à en avoir ras le bol d’annuler des parades et des foires et de payer mon salaire.
Monsieur — V… votre salaire ?
George Soper — Oui, je suis en charge de l’investigation des éruptions de fièvre typhoïde. Heureusement que je suis déjà marié, parce qu’en guise d’entrée en matière, je risque pas de pécho, si vous voyez ce que je veux dire… Monsieur ? Ah, merde, il s’est encore évanoui.
La nuit. Façade d’immeuble plongé dans l’obscurité, sauf une fenêtre qui est encore allumée.
George Soper (encore lui) — C’est quand même bizarre que toute une famille soit infectée par la fièvre typhoïde, comme ça, sortie de nulle part. Où est-ce qu’ils ont bien pu choper cette merde ?
La maison de la famille en questoin. Le salon (George Soper, les serviteurs).
Femme de chambre 1 — Je m’occupe de Madame depuis 15 ans, je n’ai jamais eu de problèmes et j’aimerais sav…
George Soper (tapote sa machine à écrire) — Bon, bon, ça va, suivant !
(Silence de mort)
George Soper (relève la tête de sa machine à écrire) — Suivant ? Mademoiselle Mary Mallon, s’il-vous-plaît ?
Mary Mallon — Oui, Quoi ?
George Soper — Quoi « quoi » ? Les questions n’ont pas changé, procédez, s’il-vous-plaît.
Mary Mallon — Je n’ai jamais eu la fièvre typhoïde. J’ai été embauchée comme cuisinière trois semaines avant que Madame ne tombe malade, et je…
George Soper — Intéressant !
Plus tard
George Soper — Vous êtes rassemblés ici aujourd’hui, car il y a parmi vous un coupable… pardon, un responsable de l’éruption de fièvre typhoïde dans cette maison. Au début, je pensais que c’était le jardinier, comme il a eu de la fièvre peu avant le premier cas. Mais la durée d’incubation ne correspond pas. Ensuite, j’ai envisagé Monsieur, qui a été en voyage sous les tropiques, mais il est tombé malade en dernier, donc ce n’était pas possible non plus. Mais j’ai fini par comprendre. J’ai la certitude de tenir notre coupable, pardon, RESPONSABLE.
(silence pesant, des gouttes de sueur perlent)
Mademoiselle Mary Mallon, vous servez souvent le dimanche de la glace accompagnée de pêches fraîches, n’est-ce pas ?
Mary Mallon — Oui, pourquoi, vous trouvez que ce n’est pas un bon dessert ?
George Soper — Si, si, formidable. Dites-moi plutôt : vous vous lavez les mains avant de préparer se dessert ?
Mary Mallon — Vous insinuez que je n’ai pas d’hygiène ?!
Mairie de New York. Le bureau du maire. George Soper s’éponge le front pour la 154950ème fois.
Le maire — Bon, George, qu’est-ce que vous avez, à la fin ?
George Soper — La fourchette à rôti. Elle m’a chargé avec une fourchette à rôti.
Le maire — Remettez-vous, elle a été empêchée à temps. Qu’est-ce que vous avez bien pu faire pour la mettre dans un état pareil ?
George Soper — Je lui ai seulement demandé de faire un prélèvement d’urine et de selles et…
Le maire — Ah, quand même.
Geroge Soper — Il a fallu cinq policiers pour l’escorter à l’hôpital, et encore, elle a failli réussir à s’échapper.
Le maire — Que donnent les analyses ?
George Soper — Positive. Mary Mallon est porteuse asymptomatique de la bactérie Salmonella typhi, responsable de la fièvre typhoïde.
Le maire — Asymptomaquoi ?
George Soper — Asymptomatique, ça veut dire qu’elle n’a ni fièvre, ni diarhée, elle se porte comme un charme, mais les gens autour d’elle tombent comme des mouches.
Le maire — Quel emmerdement !
George Soper — Je ne vous le fais pas dire. Nous lui avons proposé de lui enlever la vésicule biliaire pour éliminer la bactérie. Elle a refusé. Heureusement qu’elle n’avait plus sa fouchette à rôti à portée de main, ses yeux faisaient littéralement des éclairs.
Le maire — Voilà qui est ennuyeux. Que me conseilleriez-vous de faire pour éviter qu’elle n’infecte tout New York avec ses… (relit une phrase du rapport) glaces aux pêches fraîches ?
George Soper — Je ne vois qu’une solution.
Et c’est ainsi que Mary Mallon fut mise en quarantaine dans un hôpital. En 1909, le New York American la surnomme « Typhoid Mary » et une légende est née. C’est le premier cas d’éruption de fièvre typhoïde lié à une seule initiatrice, qui plus est ne présentant aucun symptômes.
FIN
Petite chronologie
des principales épidémies du XXe siècle aux Etats-Unis
- 1918 : grippe espagnole
- 1921-1925 : diphtérie
- 1916-1955 : polio
- entre 1900 et 1911 : plus de 10 000 personnes sont mortes chaque année de la fièvre typhoïde.
La vie tragique de « Typhoid Mary »
Dans l’intervalle, Mary Mallon fut brièvement relachée à condition de ne plus exercer la profession de cuisinière.
En 1915, une éruption de fièvre typhoïde touchant 25 personnes à la maternité Sloane attira à nouveau l’attention de l’Etat de New York. Il s’avéra qu’elle avait repris du service, sous le nom de Mrs Mary Brown. Elle n’en était pas à son premier poste depuis l’interdiction d’exercer : elle était en fait passée par les cuisines d’un hôtel, un restaurant de Broadway, un spa et une pension.
Au cours des deux éruptions qu’elle provoqua, il est estimé que Mary Mallon a infecté 21 personnes, dont trois ont été emportées par la fièvre typhoïde . Elle fut internée définitivement jusqu’à la fin de ses jours, en 1938, pour un total de 25 années de quarantaine, soit un tiers de sa vie. Coupée du reste du monde et repliée sur sa foi par ces circonstances exceptionnelles, elle ne reçut les hommages que de neuf personnes qui se rendirent à ses funérailles. Au moment de sa mort, 400 porteurs sains de la fièvre typhoïde avaient été identifiés par l’Etat de New York, et étaient en circulation dans la ville, aucun d’entre eux n’ayant été contraint de se confiner pour éviter d’infecter d’autres personnes. La fièvre typhoïde fut vaincue en 1911 grâce à la découverte d’un vaccin.
« Typhoid Mary », porteuse asymptomatique de la maladie, a conduit à la théorie des « superspreaders », des personnes qui infectent à grande vitesse et à grande échelle les personnes qu’ils rencontrent sur leur passage.
L’essentiel
- Quarantaine vient de quarante + aine ;
- Lavez-vous les mains régulièrement et ne touchez pas votre visage, enfermez-vous avec un dictionnaire d’étymologie, nourrissez-vous par photosynthèse et il n’y a pas de raisons de paniquer ! (enfin, nourrissez-vous un peu quand même).
Le bonus sur les suffixes vous attend ci-dessous !
Bonus : Le sens de la vie des suffixes
Les suffixes (comme aine), sont des bouts qu’on rajoute à la fin des mots pour ajouter du sens. On ne les ajoute pas simplement pour créer un nouveau mot à partir d’un mot préexistant en s’arrangeant pour varier un peu histoire de pas passer pour un gros flemmard, en piochant au pif dans un chapeau de suffixes interchangeables. Quarantette ? Quarantitude ? Quarantoire ? Dans ce contexte-ci, -aine est ajouté à un nombre pour évoquer un groupe d’exactement X bidules (et pas approximativement X bidules). Cela ajoute donc un sens au mot quarantaine (c’est pas quarante et quelque, c’est quarante TOUT PILE). Imaginez demander une douzaine d’œufs et n’en recevoir que onze ? Scandale !
Au programme dans le deuxième volet de cette série sur les mots de la pandémie de coronavirus : l’étymologie de la traduction anglaise de « quarantaine », quarantine, et la première quarantaine de l’Histoire.
Sources
SITES | https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3959940/ | https://www.franceinter.fr/societe/coronavirus-une-mise-en-quarantaine-est-inefficace-selon-l-historien-de-la-sante-patrick-zylberman | https://www.defense.gouv.fr/sante/actualites/expression-d-hier-et-d-aujourd-hui-mettre-quelqu-un-en-quarantaine | https://www.etymonline.com/word/quarantine | https://www.etymonline.com/search?q=dozen&utm_source=extension_submit | https://www.lemonde.fr/archives/article/1969/08/02/l-origine-de-la-quarantaine_2410849_1819218.html | https://www.healthline.com/health/worst-disease-outbreaks-history#4
Hello,
Super article et surtout hyper intéressant (et la touche d’humour qui va avec, j’adore)
Bien à toi,
Saphidy
J’aimeJ’aime
Coucou Saphidy, merci beaucoup pour ton commentaire, ça me va droit au coeur ! 🙂 A bientôt !
J’aimeJ’aime
Merci détective, nous avons passé un très bon moment plein d’humour et si léger pour un sujet si… C’est vraiment un bon remède, ce dictionnaire d’étymologie!
On attend la suite de la cure avec impatience!
J’aimeJ’aime